saison 2020-21
Prendre à cœur s'en foutre
Prendre à cœur s’en foutre
Rien n’est vrai et tout est possible
– Enter Shikari
Au moment où j’écris ces lignes (jeudi le 21 mai 2020), j’écris en tant qu’être non essentiel (tel que déterminé par le gouvernement en temps de Covid-19). Est-ce que les mots d’un être non essentiel sont non essentiels ? Gagnent-ils en essence si l’essentialisme est réévalué, réinstauré ?
Une chose dont je suis certain en ce moment c’est que je ne suis certain de presque rien.
Je n’ai pas la moindre idée de la forme que prendra la prochaine saison, ultimement. Je connais la forme qu’elle aurait dû prendre, mais nous voilà en pleine pandémie, et à la merci des dérapages de la raison comme de la déraison.
Le Plan A se mue en Plan B qui se mue en WTF! Peut-être que le meilleur plan, dans certains cas, c’est de savoir laisser les vieux plans en plan.
La seule constante consistante est la douleur, puisque tout ça s’accompagne d’un massif dénombrement de morts. 350 000 et c’est loin d’être fini… chacune de ces pertes étant absolument singulière.
Et en dépit de cela, je devrais à ce qu’il parait tirer une sorte d’inspiration de tout ce désordre, me forcer à déblatérer avec enthousiasme à propos d’un avenir connecté, en ligne ; exploiter soudainement le foisonnement des opportunités numériques et technologiques comme si c’était une manne ; et planifier le retour à une nouvelle normale (puisque, apparemment la normale ne sera plus jamais normale).
Il est difficile, ceci dit, quand les discussions sont teintées de panique et assombries par le désespoir, de penser et d’envisager les possibilités que la pandémie laissera derrière elle ; difficile en fait d’envisager des solutions qui soient plus profondes qu’une pataugeoire. Oui, maintenant plus que jamais, il faut tout réviser, et non pas en se basant sur nos façons de faire habituelles, mais en nous fondant sur ce qu’il nous est possible de faire maintenant. Mais le problème c’est qu’on ne peut pas tout bonnement remplacer la vieille normale par une nouvelle normale, sans s’assurer auparavant que la nouvelle normale a été expurgée de tout ce qui n’allait pas dans la vieille normale.
On ne peut pas simplement laisser en suspens la longue liste de problèmes non réglés, ou superficiellement traités, simplement parce qu’un nouveau cataclysme arrive en ville. Pour qui est cette utopie réinventée ?
Qu’est-ce qui se cache au fond du placard ?
En tout temps, je reconnais sans hésitation la normale comme tenant du délire.
La plupart du temps, je n’arrive pas à me convaincre qu’on ne va pas tout faire foirer. Encore. Ad Infinitum.
Je me souviens à quel point l’année dernière, pendant la préparation de la saison 2019/2020, j’étais obnubilé par l’urgence climatique. J’avais lu qu’on prédisait l’extinction de l’espèce humaine dans un avenir proche, qui coïnciderait grosso modo avec le 50ème anniversaire du MAI. Ça gâte le gâteau… Et je me rappelle comment j’ai commencé à buter dans mon quotidien, passant de « Oh mon dieu il n’est pas trop tard, on peut encore sauver la planète » à « Merde de merde de merde, on est dans la merde absolue c’est la fin » ; passant du besoin de sauver les meubles, à l’élan nihiliste de foutre le feu. Les règles du jeu avaient changé, et le plus difficile c’est que pendant un très long moment je ne croyais plus en ce que je faisais dans la vie. Ça me semblait tout d’un coup si décoratif et de façon assez ironique – non essentiel (épisode existentiel #957).
Et me voici maintenant, quelques 12 mois plus tard, tout aussi préoccupé, obnubilé. Et comment ne pas l’être ?
Les pandémies, les vagues de chaleur, les sécheresses, les nuées d’insectes, les inondations, les tempêtes hivernales, les ouragans et les feux de forêt.
Mais c’est ainsi que vont les choses, parfois ; on apprend à apprécier la valeur d’une chose au moment où on se
retrouve confronté à ce qui s’y oppose. En d’autres mots, on apprécie la vie si, d’une façon ou d’une autre, on fait face à la mort.
Voilà – du moins, je pense que je le pense – ma nouvelle normale, délirante, déroutée. Je mets sur pied une
programmation en des temps pré-apocalyptiques, post-pandémiques. Je programme des artistes avec une pratique yptique ou démique (c’est une forme, j’ose le dire), pour un public pré-apocalyptique, post-pandémique, que celui-ci soit éveillé, ou non.
Pas bien différent d’une veillée funèbre, non ?
Quand les mort-e-s et les vivant-e-s se mêlent les un-e-s aux autres. Il y a celles et ceux parmi nous qui, avec grande diligence, vont veiller le corps et celles et ceux parmi nous qui, avec grand abandon, vont simplement être abasourdi-e-s, paralysé-e-s.
Celles et ceux qui prient, celles et ceux qui font la fête.
Celles et ceux qui vont mort-vivant-e-s, celles et ceux qui font vivre la mort.
Cette saison, les artistes captent la lumière et dissipent les ténèbres ou (il y a toujours un ou) invoquent l’obscur, et engouffrent la lumière.
Iels éblouissent, iels dérangent, iels séduisent, iels énervent.
IELS SE SOUCIENT.
SANS SE SOUCIER.
AVEC SOIN.
* Au moment où je termine ce texte (le 25 mai 2020), je suis devenu l’un des nombreux.euses témoins de l’assassinat de George Floyd (un Afro-Américain) par le policier Derek Chauvin (un blanc) qui a maintenu son genou sur le cou de M. Floyd pendant 8 minutes et 46 secondes – et les mots, les mots, les mots – tous ces mots prennent un sens entièrement nouveau.
— Traduit par Marion Lessard